La mauvaise perception des probabilités un obstacle à la réussite sur les marchés financiers

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déformation des probabilités

 

Les marchés financiers sont un univers probabiliste et non déterministe. La vérité absolue et certaine n’existe pas. Sur les marchés, les intervenants ne peuvent que construire des modèles pour évaluer les cas envisageables par rapport à toutes les situations possibles et tenter d’anticiper les évènements afin d’effectuer les meilleurs choix. Or, la finance comportementale a mis en évidence que les investisseurs éprouvaient des difficultés à percevoir objectivement les probabilités, à correctement les prendre en compte et à les interpréter. Face au risque, nous avons tendance à déformer les probabilités.

Le paradoxe de Allais :

Le paradoxe de Allais, illustre parfaitement cette tendance. En 1953, Maurice Allais, économiste, publia un article dans la revue Econometrica, intitulé ” Le comportement de l’Homme rationnel devant le risque : critique des postulats de l’École américaine “. Dans cet article, l’auteur met en évidence le comportement irrationnel de l’individu. Il montre que dans un contexte d’incertitude et risqué, nous ne sommes pas toujours cohérents et nous ne prenons pas en compte à sa juste valeur les données dont nous disposons.

Allais démontre ce comportement irrationnel et contradictoire en présentant deux séries d’expériences dans lesquelles, il a demandé à des sujets d’effectuer un choix entre les situations suivantes :

Dans une première série, les sujets doivent choisir entre :

· Situation A : certitude de recevoir 100 millions

· Situation B : 10 % de chances de gagner 500 millions et 89% de chances de gagner 100 millions et 1% de chance de ne rien gagner.

Face à ces deux situations, majoritairement les sujets interviewés choisissent l’option A, qui est l’option la plus prudente.

 

Dans une deuxième série, il est demandé aux sujets de choisir entre :

· Situation C : 11% de chances de gagner 100 millions et 89 % de chances de ne rien gagner

· Situation D : 10 % de chances d’obtenir 500 millions et 90 % de chances de ne rien gagner.

Face à ces deux autres situations, les interviewés ont émis leur préférence pour la situation D.

 

Cette expérience montre que si les sujets étaient prudents dans la première série, le choix effectué dans la deuxième série est en contradiction par rapport à la première. En majorité, les sujets ont choisi l’option D qui est la situation la plus risquée, car le gain est plus élevé et la différence de probabilité apparait négligeable.

 

En proposant une autre lecture des différentes situations, il est possible de mieux observer en quoi la lecture des probabilités est contradictoire dans les choix opérés entre les deux séries

· Situation A : 11% de chances de gagner 100 millions et 89 % de chances de gagner 100 millions. Le risque est de zéro

· Situation B : 10 % de chances de gagner 500 millions et 89 % de chances de gagner 100 millions et 1 % de ne rien gagner. Le risque est de 1 %

· Situation C : 11 % de chances de gagner 100 millions et 89 % de ne rien gagner. Le risque est de 89 %

· Situation D : 10 % de chances de gagner 500 millions et 89 % de chances de ne rien gagner et 1 % de chances de ne rien gagner. Le risque est de 90 %

Si c’était la prudence qui anime les sujets. La cohérence aurait voulu que le choix dans la deuxième série se porte sur la situation C.

 

Autre lecture possible, si les situations sont lues en fonction de l’espérance de gain qui se calcule à partir d’une équation simple qui consiste à multiplier la probabilité de chances par le montant de gain potentiel et à faire la somme pour chaque probabilité. Au regard des situations présentées par Allais, les espérances de gain étaient les suivantes :

· A = 1*100 = 100 millions. L’espérance de gains est donc de 100 millions

· B = (0.10 * 500) + (0.89*100)+(0.01*0) = 139 millions. L’espérance de gains est donc de 139 millions

· C = (0.11*100)+(0.89*0)=11 millions. L’espérance de gains est donc de 11 millions

· et D = (0.10*500)+(0.89*0)+(0.01*0)=50 millions. L’espérance de gains est donc de 50 millions

Au travers de cette lecture, si c’est l’espérance du gain le plus élevée qui avait animé les sujets, ces derniers auraient dû privilégier la situation B et la situation D.

 

Ces expériences démontrent la difficulté que nous avons à percevoir les probabilités et les comportements irrationnels, plus ou moins risqués, que leur lecture peut nous amener à adopter. En situation d’incertitude notre raisonnement nous amène à surestimer les faibles probabilités et à leur donner une importance exagérée. Le paradoxe de allais montre que quand le risque est extrême (c’est-à-dire lorsqu’il y a une faible probabilité de gagner) notre perception se modifie et nous fait nous éloigner du comportement rationnel.

C’est ce comportement qui justifie les jeux de loterie. Les joueurs surestiment la probabilité réelle de gagner qui est infime : 1 chance sur 19 millions pour le loto classique.

 

La présentation des probabilités influencent également les comportements et les choix opérés sur les marchés financiers.

Les auteurs de la théorie des prospectives, qui ont légitimé la finance comportementale, D. Kahneman et A. Tverski, ont soumis des sujets au problème suivant : une épidémie s’est déclarée et 600 personnes ont été touchées. Les sujets devaient se placer en tant que décideur du traitement à administrer et devaient choisir entre 2 possibilités :

· Traitement A 200 personnes seront sauvés

· Traitement B, il y a une chance sur 3 que les 600 personnes soient sauvées mais 2 chances sur 3 que personne ne le soit.

Face à ce premier choix, 72 % des individus ont préféré le traitement A c’est-à-dire le choix certain.

 

A un deuxième groupe de sujets, ils ont soumis le même problème mais avec des traitements différents.

· Traitement C : 400 personnes vont mourir

· traitement D : 1 chance sur 3 que personne ne meurent et une chance sur trois que 600 personnes meurent

78% des sujets ont préféré le traitement D qui était le traitement le plus risqué.

Ces résultats sont en cohérence avec l’aversion aux risques. Lorsque que l’individu est en situation de gain, il préfère un choix certain, en revanche quand il est face à une situation de pertes, il privilégie un choix risqué.

 

Cependant, si on analyse les quatre situations, en adoptant une lecture différente :

· Traitement A : 200 personnes seront sauvés sur 600 et 400 personnes vont mourir

· Traitement B : il y a une chance sur 3 que les 600 personnes soient sauvées mais 2 chances sur 3 que personne ne le soit. Si on calcule l’espérance de gains cela donne (1/3*600)-(2/3*600) = 200-400 = 200 soit 200 personnes sauvées.

· Traitement C : 400 personnes vont mourir sur 600 et 200 personnes seront sauvées

· traitement D : 1 chance sur 3 que personne ne meurent soit 200 personnes sauvées et une chance sur trois que 600 personnes meurent soit 200 personnes sauvées.

Il est possible d’observer que le traitement A est identique au traitement C et le traitement B correspond au traitement D.

Donc, le simple fait de présenter les données différemment, en évoquant les situations (en espérance de vie ou en désespoir de mort) ont conduit les sujets à adopter un choix où ils évitaient le risque à une décision où ils l’augmentent.

Ainsi pour des situations identiques, le fait de présenter les probabilités sous un aspect optimiste ou négatif, ou de les décomposer différemment nous amène à changer de comportement et à passer d’une décision moins risquée à une décision plus risquée.

Les probabilités subjectives :

 

Les expériences sur les choix risqués de D.kahneman et A. Tversky, ainsi que de nombreuses autres données empiriques, démontrent que les probabilités perçues par les individus sont différentes des probabilités objectives. Les petites probabilités sont systématiquement surévaluées, c’est-à-dire que la probabilité subjective est supérieure à la probabilité objective. A l’inverse les probabilités proches de 50 % et les fortes probabilités sont sous évaluées.

 

fonction probabilité subjective

 

Sur les marchés financiers, cela se traduit par une tendance des investisseurs à attribuer une surpondération aux évènements extrêmes. Ils sont donc prêts à payer plus cher un titre que sa valeur objective si ce dernier offre la possibilité d’un gain important ou protège contre le risque d’une perte importante. A titre d’exemple, les obligations achetées à des taux négatifs.

La loi des petits nombres

 

La mauvaise maîtrise des lois de probabilités se retrouvent également dans les comportements fréquents qui conduisent les investisseurs à se contenter d’une série courte ou d’un échantillon réduit pour établir leur opinion. L’occurrence d’un évènement à 3 ou 4 reprises seulement sera jugé suffisante pour en tirer une loi générale. Les investisseurs vont généraliser ce qui n’est qu’un cas particulier et appliquer la loi des petits nombres pour attribuer une probabilité importante à une série peu pertinente.

Ainsi lorsqu’un titre progresse fortement un investisseur va anticiper une correction alors que rien ne l’indique. Cette erreur fréquente est dangereuse car l’investisseur anticipe à chaque fois un retour du marché et prend de mauvaises décisions.

Lors d’une expérience en laboratoire, Asparhova, hertzel et Lemmon ont montré que les investisseurs, bien que conscients que les cours suivaient une marche aléatoire ont néanmoins choisi des positions visant une correction à court terme. En anticipant un retour à la moyenne au sein d’une période courte, les sujets ont terminé l’expérience avec une performance inférieure à celle qu’ils auraient obtenue s’ils avaient opté pour une stratégie strictement aléatoire.

En appliquant la loi des petits nombres pour anticiper un retour à la moyenne, l’investisseur achète des titres qui ont décroché sur plusieurs séances, ou à se porte acquéreur de titres qui ont sous performé sur du moyen terme. Ces stratégies contrariantes sur du court terme peuvent provoquer de grandes désillusions. En effet, les titres achetés peuvent s’éloigner durablement de la moyenne.

Il est donc indéniable qu’en tant qu’investisseur, très souvent, nous n’avons pas une appréciation objective des probabilités bien au contraire selon la présentation des données, les probabilités seront plus ou moins déformées et nous conduiront à un comportement plus ou moins risqué, irrationnel par rapport à la situation.

Aussi, avoir conscience de cette déformation des probabilités peut permettre, comme le dit M.Mangot de substituer à la théorie intuitive des petits nombres celles des grands nombres

Privilégier la loi des grands nombres

Il est beaucoup plus facile de prédire le résultat d’un titre lorsque la durée d’évaluation est longue. Plus un échantillon est grand, plus il se rapproche de la moyenne. C’est le principe de la loi des grands nombres. A mesure qu’augmente la taille d’un échantillon, la moyenne des résultats se rapproche de la probabilité mathématique, c’est-à-dire de sa moyenne vraie.

Sur les marchés financiers, les échantillons réduits réservent de nombreuses surprises. A l’inverse, les échantillons plus larges donnent des résultats davantage conformes aux prévisions et permettent de lisser les tendances.

Plusieurs études de portefeuille ont démontré qu’investir dans les actions était en moyenne plus rémunérateur sur le long terme, même si sur une période plus courte ces mêmes actions pouvaient connaitre plusieurs années consécutives de baisse.

Se former aux probabilités

Les différentes expériences exposées démontrent qu’il convient d’accorder également du temps à la lecture et à la compréhension des probabilités pour prendre des décisions cohérentes et ainsi améliorer les performances sur les marchés financiers. L’investisseur devra chercher à appliquer différentes lectures des mêmes données chiffrées pour tendre vers le comportement le plus rationnel possible.

Dans cette perspective se former aux probabilités est nécessaire pour lutter contre les différents biais qui peuvent influer sur les jugements de l’investisseur ( biais de représentativité, d’optimisme.).

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